Discover the contemporary work of Yann RIVRON
Le principe vital du mouvement selon Yann Rivron Par Claude Darras (novembre 2013) L’École nationale supérieure des beaux-arts ne le retient que deux années (1979-1980) à Lyon (où il est né le samedi 22 octobre 1960). À vingt ans, il aspire à une sorte de révolution de l’œil et de tous les sens. Tous ses appétits n’ont pas été comblés. Et pourquoi le seraient-ils ? En la matière, toute pédagogie soutient et, le cas échéant, oriente l’impétrant. Le métier, la section d’or, le travail, c’est, bien entendu, capital, mais l’essentiel est ailleurs, dans la détermination de l’individu à trouver et à créer des formes, plus soucieux d’en animer de nouvelles que de disséquer à l’infini celles de prédécesseurs. Et cet univers qui s’esquisse à l’adolescence précise ses contours au cours de la décennie 1980-1990. La vie quotidienne, le cercle familial, les rencontres et les voyages fécondent les académies de sa pensée esthétique plus sûrement que l’enseignement des beaux-arts complété par le perfectionnement du dessin publicitaire. Jeux et souvenirs d’enfance remémorés au confluent du Rhône et de la Saône, balades équestres et spectacles tauromachiques vécus en Camargue à l’instigation parentale, héros et bestiaires des mythologies antiques révélés au potache du lycée André-Marie Ampère : dessins et peintures puisent toute leur sève et tout leur sens à sa propre histoire. Dans les traboules lyonnaises, entre Fourvière et Croix-Rousse, la capitale des Gaules facilite le dialogue avec les muses. Par la ligne, nerveuse, et la couleur, ignée, de ses travaux, il revisite chacun des espaces de Terpsichore, Euterpe et Thalie - danse, musique et comédie - provoquant un véritable dédoublement du regard ordinaire. L’exploration de chorégraphies primitives et populaires en Grèce (1984-1985) puis en Espagne (1990) l’amène toutefois à reconsidérer l’interprétation de la thématique. Familier de la Maison de la danse et de la Biennale internationale de la danse à Lyon, il parvient à identifier les véritables rythmes de la création avant de les traduire sur le papier ou la toile. N’a-t-il pas découvert le principe vital du mouvement ? Sensible au tremblement du temps, il capte d’emblée le spectateur par la géométrie variable et la dynamique électrisée de son trait, incisif et souverain. La connaissance minutieuse du corps humain, l’inventaire méthodique des arts de la danse lui ont permis de cerner et d’apprivoiser les formes plastiques du mouvement dont il est devenu un interprète magistral. De la même façon, lorsqu’il insiste sur le versant sombre du flamenco, danse de spasmes et de crispations qui l’a bouleversé jadis en Andalousie, il s’impose de relier le maximum d’éléments avec le minimum de moyens. Prêtez l’oreille un instant et vous vous rendez compte que tout, absolument tout y est condensé, le rythme battant des castagnettes et des zapateados, ces claquements rythmiques des pieds alternant la pointe et le talon, la lancinante percussion des cordes du guitariste, le martèlement des interprètes qui flirte avec la menace ou l’invective. Une autre facette de la péninsule Ibérique est livrée à sa virtuosité, le culte de Mithra dont on jurerait qu’il le célèbre à l’abri du callejon même, cette contre-piste des toreros et picadors balisée par les barrières vermillon de l’enceinte. Si le côté sol et sombra, sexe et mort transparaît dans ses études, la violence y est feutrée, l’agressivité émoussée. Coiffé de la montera et vêtu du capote (cape), l’altière silhouette du torero dominant le fauve, musculature fine et cornes en pointe, participe de la dramaturgie sévillane qui l’a tant impressionné jadis. Les éléments de la scène taurine doivent venir spontanément, parfois longtemps après l’observation du combat dans l’arène. Tout le reste, le superflu, doit tomber dans l’oubli. C’est pourquoi il peint souvent de mémoire, pour laisser le temps effacer l’anecdote afin que seule l’émotion subsiste. Excepté l’épopée ionienne, les portraits d’atelier et le foisonnement de paysages de la Dombes, la femme lui permet d’exprimer toute l’étendue de son vocabulaire dans un domaine où il excelle : la sensualité. Les entrelacements de corps au bord de l’érotisme, leurs ondulations et frottements très lents et très lascifs d’une beauté inouïe, la fluidité des voiles qui déshabillent l’anatomie jusqu’au vertige, la gestuelle sauvagement sculptée des courtisanes libèrent les rêveuses voluptés d’une ivresse débridée et païenne. Portraitiste intuitif et sensible, il saisit fébrilement, sur de petits cartons verticaux, l’attitude et la psychologie de modèles, féminins et anonymes. Il parvient à en rehausser les traits fondamentaux jusqu’à révéler l’expression, fugace, de ce qui n’est pas visible. Son regard est également lucide quand il brosse sa propre image, prétexte à une métaphysique de l’autoportrait. Les matériaux du peintre ne sont jamais sophistiqués, préfabriqués. Traditionnellement, il utilise l’huile, l’aquarelle, l’encre, la sanguine et le pastel. Est-ce pour échapper au danger de l’esthétisme, de la joliesse, qu’il varie, à partir de 1985, la trame de ses papiers, qu’il en multiplie les formats et qu’il intègre la gouache et le pigment brut broyé en poudre au bénéfice des techniques mixtes ? Sans doute, et il lui semble beaucoup plus opportun de parler de la manière dont il se sert de ses outils et de ses matériaux que de ses intentions. L’important ce n’est pas le sujet expérimenté dans le tableau, mais plutôt les formes, les couleurs, les textures et l’imaginaire qui transcende la réalité. Lorsque Claude Nougaro (1929-2004) avec lequel il se découvre de belles affinités lui demande, en 2002, d’illustrer les Fables de Jean de la Fontaine, il crée de nouvelles articulations entre les apologues du fabuliste, les chansons de l’auteur-compositeur-interprète et son propre itinéraire poétique. Quelques années auparavant, le comédien Michel Galabru (né en 1922) et l’écrivain Roland Topor (1938-1997) l’avaient invité à prêter son pinceau à des lectures publiques. Cette dispersion de genres ne présente-t-elle pas un danger ? L’œuvre reste très cohérente. Il ne veut d’ailleurs pas d’une direction unique et reconnaissable. Ce qui l’intéresse, c’est sauter, changer, attraper l’arc-en-ciel de son désir… L’apparence varie certes, mais il parle toujours de la même chose.